28 octobre 2011

Stéphane Topakian : "Avec le numérique, le classique est obligé de se glisser dans un habit trop court pour lui."

A l'occasion de la sortie du disque Aucassin et Nicolette du compositeur Paul Le Flem (1881-1984), chez Timpani, Stéphane Topakian, le fondateur et directeur du label répondait aux questions de Marc Zisman, dans le cadre des rencontres podcasts de Qobuz. Le label Timpani s'est spécialisé dans le répertoire de la musique française de la fin du 19e et du 20 siècle. Nous retranscrivons un passage très intéressant de cet entretien où il est question des carences actuelles du numérique lorsqu'il est question de la musique classique : la durée de l’œuvre, le texte d'accompagnement, l'iconographie,... rien ne va de soi, beaucoup reste encore à construire.

Stéphane Topakian : J’ai coutume de dire, un peu par aphorisme? que pour passer au numérique, il y a deux choses importantes : l’une facile, l’une très difficile : la très facile : il faut oublier le disque, la très difficile : il faut oublier le disque.
On a un siècle de disque derrière soi, ça ne se balaye pas comme ça. Je suis un peu mécontent du numérique. Si on considère ce qui le compose à 90 ou 95 % : le rock, la variété, le hors classique, et bien le numérique n’est pas l’héritier du compact, mais du 78 tours : la face, la chanson à 3 minutes et demi. Aujourd’hui, en 2011, le numérique est bâti sur le modèle du 78 tours !
Lorsque vous arrivez avec un projet qui dure 40 minutes, ou 3 heures, on ne sait plus faire, sauf à découper, à faire un puzzle. Pour le projet Aucassin et Nicolette de Paul Le Flem, j’ai réfléchi en terme de projet. Aucassin et Nicolette fait environ 42 minutes, et tout le monde me dit : « qu’est ce que tu mets avec ? » Ma réponse a été « Rien ! ». Le projet c’est Aucassin et Nicolette, ce n’est pas Aucassin et Nicolette + je ne sais pas quoi. On a plus à remplir, à tasser avec des choses qui n’ont rien à voir, histoire d’avoir du minutage. Donc avec le numérique, on devrait se désengager de cette histoire de minutage, et raisonner en terme de projet.

Marc Zisman : Mais justement le projet a toujours été un peu esclave du support technique. Les chansons populaires faisaient au début 3 minutes parce que les rouleaux, les cylindres faisaient 3 minutes.

Stéphane Topakian : Oui mais les chansons au XIXe duraient 10 minutes.

Marc Zisman : C’est la musique enregistrée qui a finalement imposé…

Stéphane Topakian : Oui, elle a imposé un module qui est encore le même aujourd’hui. Alors qu’il y a des projets qui durent 5 minutes, … et il y a la Tétralogie. Justement le numérique permet de raisonner en terme de projet, de contenu, de ce qu’on met dedans. Et là aussi, même avec le livret numérique...

Marc Zisman : les livrets numériques [au format pdf] sont disponibles sur Qobuz, précisons-le...

Stéphane Topakian : tout à fait. Mais ça reste limité en terme de poids. Mon théâtre d’ombres pour Le Flem, j’aurais aimé pouvoir reproduire la vingtaine de plaques, mais ce n’est pas possible. Le numérique est encore à son balbutiement en terme de qu’est-ce qu’on peut faire avec, en terme de développement […],
Avec le numérique, le classique est obligé de se glisser dans un habit qui est trop court pour lui. [...]


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