14 juillet 2020

Le capharnaüm #82 : à la place de tout ceci, une petite étiquette.

Un sentiment soudain de désolation l’étreignit. Il avait joliment gâché sa vie. Il avait maintenant quarante-six ans, et il passait son temps dans le living-room à s’amuser avec un concours de journal. Pas d’emploi rémunéré légitime, pas de femme, pas d’enfants, pas de maison à lui. Et il jouait avec la femme d’un voisin. 
Vic avait raison : une vie dénuée de valeur. 
Je ferais aussi bien d’abandonner, décida-t-il. Le concours, tout. D’aller me promener ailleurs, de faire autre chose. D’aller suer sous les derricks avec un casque d’aluminium, de ratisser des feuilles mortes, de gratter des chiffres dans le bureau d’une compagnie d’assurances, de magouiller dans l’immobilier.
N’importe quelle autre occupation serait plus adulte, comporterait davantage de responsabilités, m’arracherait à mon enfance prolongée, à cette marotte, comme si je passais mon temps à assembler des modèles réduits d’avions. 
L’enfant qui le précédait obtint sa sucrerie et s’éloigna en courant. Ragle posa sa pièce de cinquante cents sur le comptoir. 
« Auriez-vous de la bière, par hasard ? » Sa voix lui parut bizarrement menue et lointaine. Le vendeur en tablier blanc, casquette sur la tête, le regardait, le regardait sans bouger. Rien ne se produisit. Aucun son nulle part. Enfants, voitures et vent : tout s’était tu. 
La pièce de cinquante cents tomba, s’enfonça dans les bois et s’évanouit. 
Je suis en train de mourir, songea Ragle. Ou bien… 
La terreur le saisit ; il voulut parler mais ses lèvres le trahirent. Il était désormais prisonnier du silence.
Encore une fois, non ! Non ! Cela m’arrive encore une fois. 
La buvette se désagrégea en fines molécules incolores et sans traits. Ragle se mit à voir au travers, se mit à voir la colline derrière, les arbres et le ciel. Il vit la buvette quitter l’existence, avec son propriétaire, la caisse, l’énorme distributeur de boissons à l’orange, les robinets de Coke et de bière sans alcool à la pression, le réfrigérateur garni de bouteilles, le gril à hot dogs, les pots de moutarde, les cônes empilés, les rangées de lourds couvercles ronds en métal sous lesquels se trouvaient les différents parfums de glace. 
À la place de tout ceci, une petite étiquette. Ragle tendit la main et s’en empara. Sur le papier était imprimé en capitales : 
BUVETTE

Philip K. Dick, Le temps désarticulé (1959), trad. de Philippe R. Hupp (1975)



Novos Baianos - A Menina Dança (1972)


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Rosinha de Valença - Consolação (1966)


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Cesar Camargo Mariano e Prisma - Ponte das Estrelas (1986)


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Vinicius de Moraes, Tom Jobim, Toquinho, Miúcha - Canto de Ossanha (1978)


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Toquinho - wikipédia - discogs
Miúcha - wikipédia - discogs

Egberto Gismonti Naná Vasconcelos - Dança das Cabeças (1996)


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Naná Vasconcelos - wikipédia - discogs