27 mai 2007

György Ligeti : "Le Grand Macabre" : disque de la semaine


«Je suis né en Transylvanie et suis ressortissant roumain. Cependant, je ne parlais pas roumain dans mon enfance et mes parents n’étaient pas transylvaniens. [...] Ma langue maternelle est le hongrois, mais je ne suis pas un véritable Hongrois, car je suis juif. Mais, n’étant pas membre d’une communauté juive, je suis un juif assimilé. Je ne suis cependant pas tout à fait assimilé non plus, car je ne suis pas baptisé.»

Compositeur d’origine hongroise, György Ligeti est mort en 2006 à l’âge de 86 ans
Né en Roumanie en 1923, Ligeti fait ses études musicales d’abord à Kolosvar puis à Budapest, auprès de Ferenc Farkas et de de Sandor Veress et restera toujours extrêmement marqué par l’œuvre et la démarche de collectage ethnomusicologique de Bela Bartok. Pendant la guerre contraint de porter l’étoile juive, il est incorporé dans une compagnie de travail obligatoire. En 1944, il s’évade, échappant de justesse à la déportation. Après la Guerre, il devient professeur d'harmonie, de contrepoint et d'analyse au Conservatoire de Budapest, Ligeti quitte la Hongrie en 1956 au moment de l’arrivée des chars russes. Il s’installe en Allemagne de l’Ouest puis en Autriche. Il concrétise son rêve de rencontrer et collaborer avec les plus grands compositeurs de l’avant-garde musicale qui se réunit alors à Darmstadt.

«Jusqu’en 1952, je ne savais pas qu’il existait une musique électronique, une musique sérielle, et en Amérique un compositeur appelé John Cage... Il faut comprendre ce qu’était alors la situation de la Hongrie. Nous étions totalement isolés. Une seule ouverture: les postes de radio allemands; ils étaient brouillés, mais, grâce à eux, je suis arrivé à entendre tout de même des pièces de Messiaen, Fortner, Henze, puis de Boulez, Stockhausen et Nono.»

Avec Stockhausen, il réalisera trois œuvres électroniques : Glissandi (1957), Artikulation (1958), et Pièce électronique no 3 (1958). Loin des dogmes et des chapelles esthétiques, Ligeti poursuivra son travail de composition avec des pièces instrumentales et vocales où se définira un style original, mariage de musique d’inspiration populaire et de modernité savante, de statisme et de rupture, de sérénité et d’angoisse, de gravité et d’humour : Atmosphères (1961), Volumina pour orgue (1962), Aventures (1962), Requiem (1963-1965), Concerto pour violoncelle (1966), Lux Aeterna (1967), Lontano (1967), Continuum pour clavecin (1968), Deuxième Quatuor à cordes (1968), Trio pour violon, cor et piano (1982), Études pour piano (1985-1990), Concerto pour piano (1988), Concerto pour violon (1990).
Dans les années 70, Ligeti travaille à une œuvre de théâtre musical « Le grand macabre » (d’après la pièce de Michel de Ghelderode) qui sera jouée à Stockholm en 1978.
Il remaniera l’œuvre dans les années 80, pour plus de cohérence et de concision, et en fera un véritable opéra qui sera donné au théâtre du Chatelet en 1998.
Le Grand Macabre, à la manière du Père Ubu d’Alfred Jarry, est une farce caustique et grotesque sur le pouvoir totalitaire (que Ligeti a subi par deux fois) montré dans son absurdité, sa bêtise et sa rage mortifère.
Nous sommes à Breughelland (cf Breughel, Le triomphe de la mort), pays entièrement ruiné, où règne Nekrotzar, le Grand macabre « un personnage sinistre, douteux, démagogique. Dépourvu d’humour et pompeux, c’est un être d’une mégalomanie inébranlable ». Le livret se distingue par sa grande crudité de langage, Ligeti revendiquant «un monde rabelaisien, plein d'obscénités, sexuelles et scatologiques».

«Seul l’esprit créateur qui se renouvelle peut éviter et combattre ce qui est raide et figé, le nouvel Académisme. Ni le repos ni le retour en arrière ne sont possibles sans succomber à l’illusion d’un terrain ferme qui n’existe pas» (Ligeti, à propos du Grand Macabre ).

György Ligeti "Le Grand Macabre : opéra (version 1997)" avec Sibylle Ehlert, Laura Claycomb, Charlotte Hellekant... [et al.] ; Philharmonia Orchestra ; Esa-Pekka Salonen. - Sony Classical, 1999. - Enr. à Paris au Théâtre du Châtelet en février 1998

Bibliographie : Le Grand Macabre, L’Avant-Scène Opéra, Bimestriel n°180, nov-déc. 1997