12 mars 2008

Louis (dit Aloysius) Bertrand : Gaspard de la nuit : point de printemps pour les poètes #5

John Anster Fitzgerald "The Stuff that Dreams are Made"


SCARBO

«Il regarda sous le lit, dans la cheminée, dans le bahut; - personne. Il ne put comprendre par où il s'était introduit, par où il s'était évadé.»
HOFFMANN. - Contes nocturnes.


Oh! que de fois je l'ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu'à minuit la lune brille dans le ciel comme un écu d'argent sur une bannière d'azur semée d'abeilles d'or!

Que de fois j'ai entendu bourdonner son rire dans l'ombre de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit!

Que de fois je l'ai vu descendre du plancher, pirouetter sur un pied et rouler par la chambre comme le fuseau tombé de la quenouille d'une sorcière.

Le croyais-je alors évanoui? le nain grandissait entre la lune et moi, comme le clocher d'une cathédrale gothique, un grelot d'or en branle à son bonnet pointu!

Mais bientôt son corps bleuissait, diaphane comme la cire d'une bougie, son visage blémissait comme la cire d'un lumignon, - et soudain il s'éteignait.

Aloysius Bertrand (1807-1841), Gaspard de la nuit (1842) : fantaisies à la manière de Rembrandt et de Calllot, Mille et une nuit, 2006

Maurice Ravel : Gaspard de la nuit : Scarbo (modéré - vif) interprété par Martha Argerich


"En gravant les eaux-fortes de son Gaspard, issues du romantisme tour à tour féerique et halluciné des poèmes en prose d'Aloysius Bertrand, Ravel a signé l'un des plus grands chefs-d'oeuvre du pianisme moderne. [...]
[A propos de Scarbo : ] Ce scherzo démoniaque, avec ses frénétiques notes répétées, ses sauts diaboliques, ses doubles notes crépitantes, ses sourds martellements, ses âpres dissonances, ses brusques rafales d'arpèges, à travers le clavier, ses murmures soudain suivis de sursauts intempestifs, - est en effet comme un résumé des chausse-trapes qu'on peut tendre sous les doigts d'un pianiste... La pièce est rhasodiquement bâtie sur trois idées principales. [...]"
Guy Sacre, La musique de piano, tome 2, R. Laffont, 1998.