10 septembre 2010

En 20 ans, l'accès à l'information musicale a changé, et ce n'est pas grave!

Le blog hypebot a publié un graphique comparant la journée d'un auditeur de radio, amateur de musique aujourd'hui et en 1990.


source : Chart: The New 24 Hour Song Discovery Cycle (Hypebot.com), via Dont believe the hype (le blog de Virginie Berger)

Traduction :
2010, entre 9h du matin et 11h30 sur soir
  • 9 heures : entend une chanson géniale à la radio, et n'a aucune idée de qui la chante,
  • tape dans Google les deux lignes de textes dont il se souvient,
  • puis regarde la vidéo sur Youtube,
  • puis lit la biographie complète du groupe sur Wikipédia,
  • puis télécharge illégalement l'intégralité de la discographie du groupe,
  • puis fait une mashup avec la chanson et une vidéo qui circule sur Internet... et 7000 vues [sur Youtube] !,
  • puis rejoue la chanson muni d'un instrument en plastique grâce à un jeu vidéo musical... et parvient à établir un nouveau record !,
  • puis regarde le groupe passer au Jay Leno show [Tonight show sur NBC],
  • puis va sur le net pour dire à tout le monde à quel point le groupe craint maintenant.

1990, entre 9h du matin et 11h30 sur soir
  • Entend une chanson géniale à la radio, et n'a aucune idée de qui la chante,
  • et en fin de soirée entend à nouveau la chanson géniale à la radio mais n'a toujours aucune idée de qui la chante.

Si non è vero è ben trovato!
Le parallèle contrasté est amusant et contient sa part de vérité (une large part de vérité même), ainsi que sa part d'ironie (tout ça pour ça). Mais la démonstration tend à accréditer une hypothèse selon laquelle il n'existe pas, et n'a jamais existé de lieux ressources où l'auditeur puisse venir poser une question, demander un renseignement. Concevoir ainsi l'auditeur mélomane, passé ou présent, comme un être isolé du monde et ne comptant que sur ses propres moyens est une vue de l'esprit. Car l'écoute de la musique est une pratique qui se situe dans un cadre social, on peut à ce propos se référer aux travaux d'Antoine Hennion sur la sociologie de la musique et des amateurs.

1990, le temps d'avant, c'était le temps d'avant
En 1990, à l'âge d'or du disque compact, les disquaires étaient encore nombreux et constituaient un réseau assez dense de professionnels passionnés, chez qui les amateurs pouvaient venir demander un conseil et un renseignement.
Dans un même temps, depuis la fin des années 80, une grande partie des bibliothèques municipales et départementales s'étaient déjà transformées en médiathèques et proposaient un secteur musique, aussi appelé discothèque, avec des collections de disques organisées et des ouvrages de référence (dictionnaires, encyclopédies, guides d'écoute) permettant une recherche documentaire assez approfondie. A cette époque, Allmusic guide n'était encore qu'un épais volume imprimé mais qui rendait déjà bien des services. De son côté, l'amateur de musique classique venait à la discothèque consulter le catalogue général annuel des disques classiques de Diapason pour trouver les références d'un disque, ou fixer son choix sur une interprétation.
Une époque bénie pour les discothécaires, qui se sentaient utiles, reconnus dans leurs compétences, d'autant qu'ils avaient suivi une formation initiale diplômante, le Certificat d'Aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB) - option musique.
Pendant près de vingt ans, les discothèques, ces nouveaux services de prêt de musique enregistrée, ont rencontré un important succès auprès du public. Les usagers avaient accès à des collections de musique enregistrée riches et diversifiées. Une opportunité sans précédent était offerte à chacun, de découvrir d'autres musiques - celles justement que l'on entend pas ou rarement à la radio - telles que le jazz et les musiques afro-américaines, la musique classique et contemporaine, les musiques du monde traditionnelles ou modernes, les musiques de films.
Les fabricants de K7 vierges, puis de CD-R vécurent sans doute leurs plus belles années car pendant près de vingt ans, la discothèque fut selon la formule d'Arsène Ott, la fiancée du pirate.

2010, le paysage après la bataille
Aujourd'hui, le paysage de l'information musicale est très différent. Comme le révèle l'enquête réalisée en 2008 par le Département des Études de la Prospective et des statistiques du Ministère de la Culture (DEPS), les nouvelles technologies liées au développement du numérique ont radicalement transformé les pratiques culturelles des Français. L'étude constate une progression de la culture de l'écran.
Comme le note Julià Figueres Pérez, bibliothécaire musical à Barcelone, "les intermédiaires traditionnels pour la fourniture de la musique enregistrée (magasins de disques et bibliothèques publiques) ne sont plus incontournables. Il faut compter désormais avec les plates-formes de vente et d’échange de fichiers musicaux, ainsi qu’avec les sites web des producteurs et des éditeurs (artistes ou labels) dont l’audience est devenue massive et préférentielle. La mission du bibliothécaire est d’être un intermédiaire entre l’information et les utilisateurs. Alors qu’en est-il aujourd’hui ?" [Spotify et les bibliothèques]
Coté disquaires, c'est la Bérézina : le nombre des disquaires indépendants en France a chuté, passant de quelque 3000 à la fin des années 1970 à environ 200 aujourd'hui. [Le Parisien, 02/2010]
Doit-on en déduire, qu'à l'instar des magasins de disques, les médiathèques sont également appelées à disparaître ? L'offre musicale en ligne, par son abondance et son accessibilité, rend-elle définitivement obsolètes les collections acquises au fil des années par les bibliothèques ? Que peuvent nos discothèques face à Deezer ? se demandait déjà en 2008 l'auteur du blog Bibliothèques 2.0. A première vue, le combat semble mal engagé pour les médiathèques , même si une analyse de détail de l'offre proposée par les sites de streaming [Musique dans les nuages] révèlent aussi les failles du tout numérique en ligne. Un seul exemple : on ne peut pas écouter aujourd'hui les Beatles ou Pink Floyd sur Deezer ou sur Spotify.

Bibliothèques musicales hybrides
De plus en plus de bibliothèques musicales présentent et proposent aujourd'hui leurs services et leurs collections en ligne. Ces bibliothèques ne sont pas pour autant devenues des bibliothèques virtuelles, totalement dématérialisées, mais des bibliothèques hybrides. L’intitulé bibliothèques hybrides, souligne la complémentarité, l’intégration du physique et du numérique. "Ce concept reconnaît donc que ni les services « traditionnels », ni les services électroniques ne sauraient en eux-mêmes constituer des solutions appropriées." (Peter Brophy , bbf 2002 - Paris, t. 47, n° 4). Elles sont répertoriées sur le portail Bibliopedia [Bibliothèques musicales hybrides]

Musique et médias sociaux
L'information musicale doit compter aujourd'hui avec les réseaux sociaux commme le rappelait récemment un aticle du Guardian : Twitter power: how social networking is revolutionising the music business [Le pouvoir de Twitter : comment les réseaux sociaux sont en train de révolutionner l'industrie musicale] : "Les barbus passionnés derrière le comptoir de leur magasin de disques qui étaient toujours prêts à faire découvrir des douzaines de nouveaux artistes ont ouvert un blog, ils peuvent désormais atteindre une audience plus large et plus uniquement les clients passant dans leurs magasins".
L'information musicale a un bel avenir, pour peu qu'elle continue de se concrétiser dans ce lieu de socialisation qu'est la médiathèque, lieu de contact, d'échange et d'assistance et qu'elle se donne les moyens de s'ouvrir à l'écoute et de partager ses ressources sur les différents réseaux sociaux.

Épilogue - pour retrouver Mediamus ici et là sur les réseaux :

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