30 août 2012

La pêche à la baleine : chanson de la semaine #102

La pêche à la baleine, poème de Jacques Prévert (1900-1977), dit et chanté par Agnès Capri (1907-1976).
Grande figure de l'avant-garde poétique et du cabaret parisien, Agnès Capri (née Sophie Rose Fridmann) fut actrice, chanteuse et productrice radio. Fille d'émigrés russes, elle prend des cours de théatre chez Louis Jouvet et Charles Dullin, et des cours de chant à la Schola Cantorum. Membre de l’Association des Artistes et Écrivains Révolutionnaires (AAER), et proche du groupe Octobre et des surréalistes, elle côtoie et travaille avec Jacques Prévert, Joseph Kosma, Max Jacob, Raymond Queneau, Robert Desnos, Paul Éluard, Henri Michaux (Elle travailla à une mise en scène de Plume) Elle débute sa carrière au cabaret le Boeuf sur le toit, puis à l'A.B.C., et à l'Opéra-Bouffe, avant d'ouvrir son cabaret en 1938, qui s’appellera alternativement Le Petit Théâtre de nuit, le Capricorne et Chez Agnès Capri. Dans son cabaret, se produiront Germaine Montero, Jean Sablon, Catherine Sauvage, Cora Vaucaire, Mouloudji, Serge Reggiani, Juliette Greco, Marc Ogeret, Pierre Louki, Georges Moustaki et les Frères Jacques.


À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d'une voix courroucée
À son fils Prosper, sous l'armoire allongé,
À la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc?
Et pourquoi donc que j'irais pêcher une bête
Qui ne m'a rien fait, papa,
Va la pêpé, va la pêcher toi-même,
Puisque ça te plaît,
J'aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère
Et le cousin Gaston.
Alors dans sa baleinière le père tout seul s'en est allé
Sur la mer démontée...
Voilà le père sur la mer,
Voilà le fils à la maison,
Voilà la baleine en colère,
Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière,
La soupière au bouillon.
La mer était mauvaise,
La soupe était bonne.
Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole :
À la pêche à la baleine, je ne suis pas allé,
Et pourquoi donc que j'y ai pas été?
Peut-être qu'on l'aurait attrapée,
Alors j'aurais pu en manger.
Mais voilà la porte qui s'ouvre, et ruisselant d'eau,
Le père apparaît hors d'haleine,
Tenant la baleine sur son dos.
Il jette l'animal sur la table, une belle baleine aux yeux bleus,
Une bête comme on en voit peu,
Et dit d'une voix lamentable :
Dépêchez-vous de la dépecer,
J'ai faim, j'ai soif, je veux manger.
Mais voilà Prosper qui se lève,
Regardant son père dans le blanc des yeux,
Dans le blanc des yeux bleus de son père,
Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus :
Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m'a rien fait?
Tant pis, j'abandonne ma part.
Puis il jette le couteau par terre,
Mais la baleine s'en empare, et se précipitant sur le père
Elle le transperce de père en part.
Ah, ah, dit le cousin Gaston,
On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons.
Et voilà
Voilà Prosper qui prépare les faire-part,
La mère qui prend le deuil de son pauvre mari
Et la baleine, la larme à l'oeil contemplant le foyer détruit.
Soudain elle s'écrie :
Et pourquoi donc j'ai tué ce pauvre imbécile,
Maintenant les autres vont me pourchasser en moto-godille
Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille.
Alors, éclatant d'un rire inquiétant,
Elle se dirige vers la porte et dit
À la veuve en passant :
Madame, si quelqu'un vient me demander,
Soyez aimable et répondez :
La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d'années, sans doute elle reviendra...


Références :
La grande anthologie de la chanson française / éd. Pierre Saka, LGF, 2001
Louis-Jean Calvet, Cent ans de chanson française, Archipoche, 2008
Wikipédia : Agnès Capri