18 avril 2009

Anton Webern : Pièce pour orchestre III Opus 10 : une mélodie de timbres et de couleurs

Paul Klee Ad Parnassum


"Je ne puis admettre sans réserves la différence que l'on a coutume d'établir entre couleur sonore (timbre) et hauteur sonore. C'est en effet par sa couleur sonore - dont une dimension est la hauteur - que le son se signale. La couleur du son est donc le grand territoire dont une région est constituée par la hauteur du son. Cette dernière n'est rien d'autre que la couleur du son mesurée dans une direction. S'il est possible maintenant, à partir de timbres différenciés par la hauteur, de faire naître des figures sonores que l'on nomme mélodies - successions de sons dont la cohérence même suscite l'effet d'une idée - alors il doit être possible, à partir de pures couleurs sonores - les timbres - de produire ainsi des successions de sons dont le rapport entre eux agit avec une logique en tout point équivalente à celle qui suffit à notre plaisir dans une simple mélodie de hauteurs. [...]
Mélodies de timbre ! Bien fins ceux qui peuvent discerner ici la mélodie du timbre !
Quel esprit hautement cultivé saura trouver plaisir à de telles subtilités !"
Arnold Schoenberg, Traité d'harmonie, trad. de Gérard Gubisch, J-C Lattès, 1983


Anton Webern composa Les Cinq pièces pour orchestre op. 10 en 1913, l'œuvre est contemporaine du Sacre du printemps d'Igor Stravinsky, et fut écrite juste un an après le Pierrot Lunaire d'Arnold Schoenberg.
Mais l'œuvre sera créée seulement 13 ans plus tard, au festival de festival de l'ISCM (International Society for Contemporary Music) de Winterthur (Suisse) en 1926.

L'orchestre de chambre choisi pour l'exécution de l'œuvre est constitué d'instruments provenant de différentes familles :
  • les cuivres : cor, trompette, trombone
  • les claviers : harmonium ou orgue, célesta
  • les cordes pincées : harpes, guitare, mandoline
  • les percussions : cymbale, triangle, cordes, glockenspiel, xylophone, cloche, cloche de vache, grosse caisse, caisse claire
  • les cordes : violon, alto, violoncelle, contrebasse


Anton Webern : Pièce pour orchestre III Opus 10


La pièce III est composée seulement de 11 mesures, pour durée d'exécution d'environ 1'30" . Elle met en jeu 12 instruments : Mandoline, guitare, célesta, harpe, violon, cor, clarinette, guitare, violoncelle, alto, harmonium, trombone.
Il s'agit donc d'une œuvre singulière par sa durée que l'on peut qualifiée d'aphoristique. Pierre Boulez compare d'ailleurs les œuvres de Webern à des haïku : vous avez à peine le temps d'entrer dans l’œuvre, que celle-ci est déjà terminée".
Anton Webern y utilise un langage atonal (10 notes), même s'il ne s'agit pas encore de la technique dodécaphonique mise au point dix ans plus tard par Schoenberg en 1923.

Ce qui constitue véritablement l'originalité des Pièces pour orchestre opus 10 se trouve dans le principe de leur composition : Anton Webern choisit le timbre comme l'élément, comme le sujet central de sa composition.
Ce mode de composition consistant à combiner des sonorités aux timbres variés est défini en allemand par le terme klangfarbenmelodie soit : "mélodie de couleurs sonores" ou "mélodie de timbres ou de couleurs". Der Klang (le son), Die Farben (les couleurs), Die Melodie (la mélodie).

Cette technique de composition a été initiée par Hector Berlioz au milieu du XIXe siècle, mais c'est Arnold Schoenberg avec Farben la 3ème de ses Cinq pièces pour orchestre opus 16 écrites en 1909 qui en radicalisera la pratique.

Anton Webern : Pièce pour orchestre III Opus 10, répétition commentée par Pierre Boulez avec l'ensemble InterContemporain (3 parties)




Sources :
  • Analyse de Cinq pièces Opus 10 (1913) d'Anton Webern par Thierry Alla, professeur au Lycée Max Linder. Libourne. Sur le site de l'Académie de Bordeaux(lien)

  • Webern : Une analyse des 5 pièces op 10, séquence réalisée par Jean-Luc Idray et P. Revol. Sur le site de l'Académie de Grenoble (lien)