09 mars 2024

Águas de Março [Les eaux de mars] : chanson brésilienne de la semaine #4




Águas de Março

(Paroles et musique de Antônio Carlos Jobim)

É o pau, é a pedra, é o fim do caminho
É um resto de toco, é um pouco sozinho
É um caco de vidro, é a vida, é o sol
É a noite, é a morte, é um laço, é o anzol
É peroba no campo, é o nó da madeira
Caingá candeia, é o matita-pereira

É madeira de vento, tombo da ribanceira
É o mistério profundo, é o queira ou não queira

É o vento vetando, é o fim da ladeira
É a viga, é o vão, festa da cumeeira


É a chuva chovendo, é conversa ribeira
Das águas de março, é o fim da canseira

É o pé, é o chão, é a marcha estradeira
Passarinho na mão, pedra de atiradeira

É uma ave no céu, é uma ave no chão
É um regato, é uma fonte, é um pedaço de pão


É o fundo do poço, é o fim do caminho
No rosto um desgosto, é um pouco sozinho

É um estepe, é um prego, é uma conta, é um conto
É um pingo pingando, é uma conta, é um ponto
É um peixe, é um gesto, é uma prata brilhando
É a luz da manha, é o tijolo chegando
É a lenha, é o dia, é o fim da picada
É a garrafa de cana, o estilhaço na estrada
É o projeto da casa, é o corpo na cama
É o carro enguiçado, é a lama, é a lama
É um passo, é uma ponte, é um sapo, é uma rã
É um resto de mato na luz da manhã
São as águas de março fechando o verão
É a promessa de vida no teu coração
É uma cobra, é um pau, é João, é José
É um espinho na mão, é um corte no pé
São as águas de março fechando o verão

É a promessa de vida no teu coração
É pau, é pedra, é o fim do caminho
É um resto de toco, é um pouco sozinho
É um passo, é uma ponte, é um sapo, é uma rã
É um belo horizonte, é uma febre terça
São as águas de março fechando o verão
É a promessa de vida no teu coração
Pau, edra
Im, inho
Esto, oco
Uco, inho
Aco, idro
Ida, ol
Oite, orte
Aço, zol
São as águas de março fechando o verão
É a promessa de vida no teu coração



Les eaux de mars

(Adaptation par Georges Moustaki)

Un pas, une pierre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c'est un peu solitaire
C'est un éclat de verre, c'est la vie, le soleil
C'est la mort, le sommeil, c'est un piège entrouvert
Un arbre millénaire, un nœud dans le bois
C'est un chien qui aboie, c'est un oiseau dans l'air

C'est un tronc qui pourrit, c'est la neige qui fond
Le mystère profond, la promesse de vie
C'est le souffle du vent au sommet des collines
C'est une vieille ruine, le vide, le néant
C'est la pie qui jacasse, c'est l'averse qui verse
Des torrents d'allégresse, ce sont les eaux de mars
C'est le pied qui avance à pas sûr, à pas lent
C'est la main qui se tend, c'est la pierre qu'on lance
C'est un trou dans la terre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c'est un peu solitaire
C'est un oiseau dans l'air, un oiseau qui se pose
Le jardin qu'on arrose, une source d'eau claire
Une écharde, un clou, c'est la fièvre qui monte
C'est un compte à bon compte, c'est un peu rien du tout
Un poisson, un geste, c'est comme du vif argent
C'est tout ce qu'on attend, c'est tout ce qui nous reste
C'est du bois, c'est un jour le bout du quai
Un alcool trafiqué, le chemin le plus court
C'est le cri d'un hibou, un corps ensommeillé
La voiture rouillée, c'est la boue, c'est la boue
Un pas, un pont, un crapaud qui croasse
C'est un chaland qui passe, c'est un bel horizon
C'est la saison des pluies, c'est la fonte des glaces
Ce sont les eaux de mars, la promesse de vie
Une pierre, un bâton, c'est Joseph et c'est Jacques
Un serpent qui attaque, une entaille au talon
Un pas, une pierre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c'est un peu solitaire
C'est l'hiver qui s'efface, la fin d'une saison
C'est la neige qui fond, ce sont les eaux de mars
La promesse de vie, le mystère profond
Ce sont les eaux de mars dans ton cœur tout au fond

Eaux de mars

(traduction littérale)

 
C’est un bâton, c’est une pierre, c’est la fin du chemin
C’est un reste de souche, c’est un peu solitaire…
C’est un éclat de verre, c’est la vie, c’est le soleil
C’est la nuit, c’est la mort, c’est un nœud, c’est l’hameçon…
C’est un peroba¹, c’est le nœud dans le bois
Caingá², Candeia³, c’est la matita-pereira⁴…

C’est du bois de vent, tomber de la falaise
C’est un mystère profond, que tu le veuilles ou non…

C’est le vent qui vente, C’est la fin de la pente
C’est la poutre, c’est le vide
C'est une pendaison de la crémaière⁵…

C’est la pluie qui tombe, c’est la conversation sur la rive
Des eaux de mars
C’est la fin de la fatigue…

C’est le pied, c’est le sol
C’est une marche à pied
Petit oiseau dans la main
Pierre d'une fronde…

C’est un oiseau dans le ciel
C’est un oiseau au sol
C’est un ruisseau, c’est une fontaine
C’est un morceau de pain…

C’est le fond du puits
C’est la fin du chemin
Sur le visage, un chagrin
C’est un peu solitaire…

C’est une épine, c’est un clou C’est une pointe, c’est un point C’est une goutte qui goutte, c'est un compte, c’est un conte…
C’est un poisson, c’est un geste C’est du vif argent
C’est la lumière du matin,  ce sont les briques qui arrivent…
C’est du bois de chauffage, c’est le jour
C’est le bout de l'aiguillon, c’est la bouteille de canne à sucre, les pierres sur la route…
 C’est le projet d’une maison, c’est le corps dans le lit
C’est la voiture en panne, c’est la boue, c’est la boue…
C’est un pas, c’est un pont, c’est un crapaud, c’est une grenouille C’est un reste de buisson, dans la lumière du matin…
Ce sont les eaux de mars concluant l’été
C’est la promesse de vie dans ton cœur…
C’est un cobra, c’est un bâton C’est João, c’est José, c’est une épine dans la main, c’est une coupure au pied…
Ce sont les eaux de mars concluant l’été
Et la promesse de vie dans ton cœur…
C’est un bâton, c’est une pierre,  c’est la fin du chemin
C’est un reste de tronc, c’est un peu solitaire…
C’est un pas, c’est un pont, c’est un crapaud, c’est une grenouille
C’est un bel horizon, c’est une fièvre…
Ce sont les eaux de mars concluant l’été
C’est la promesse de vie, dans ton cœur... 
Notes : 
1. peroba : arbre d'Amérique du Sud (wikipedia)
2. Caingá : arbre
3. Candeia : arbre
4. matita-pereira : La sorcière qui se transforme en oiseau pour réclame son dû aux villageois. Personnage légendaire du Nodeste du Brésil (source : Histoires de l'ombre)
5. Festa da Cumeeira [fête de la crête] fête à laquelle on invite ses amis, lorsque l'on s'installe dans sa nouvelle  maison, l'équivalent de la "pendaison de la crémaillère".


Un classique de la chanson brésilienne, et un standard international
Cette chanson écrite et composée par Antonio Carlos Jobim est d'abord sortie en 1972 sur le single Disco de Bolso, o Tom de Jobim e o Tal de João Bosco, puis sur l'album Matita Perê, l'année suivante. C'est la version de 1974, en duo avec Elis Regina sortie sur l'album Elis & Tom qui marquera définitivement les mémoires. Plus tard, Tom Jobim adaptera la chanson en anglais Waters of March, en conservant la structure et le sens des paroles.
Águas de Março a fait l'objet de nombreuses réinterprétations par des artistes de premier plan. Au Brésil on peut citer les enregistrements marquants de João GilbertoMiúchaNara LeãoJoyceSérgio Mendes. Au USA, Waters of March a été chanté notamment par Art GarfunkelAl JarreauElla Fitzgerald et Dionne Warwick. En France, la chanson a été adaptée par Georges MoustakiPauline Croze en a également enregistré une version pour son album dédié à la bossa nova. 
En 2001, Águas de março a été désignée comme la meilleure chanson brésilienne de tous les temps après un sondage mené auprès de plus de 200 journalistes, musiciens et autres artistes brésiliens par le journal Folha de S.Paulo. Dans un autre sondage réalisé par l'édition brésilienne du magazine Rolling Stone, en 2009, la chanson obtient la deuxième place, après "Construção" de Chico Buarque

Genèse de la chanson
Jobim a composé le thème à la guitare dans sa ferme de Poço Fundo, à São José do Vale do Rio Preto, dans la région boisée et montagneuse de Serrana.
La chanson est composée dans une période d'inquiétude pour Jobim,  due à des problèmes de santé, et à un état dépressif. 
En 1988, Jobim a déclaré dans une interview, qu'au moment de la création de "Águas de Março", le médecin lui avait dit qu'il allait mourir d'une cirrhose.  En 1992, pour le Jornal do Brasil, il déclare avoir écrit la chanson à une époque où il était en plein marasme. Il avait envie d'arrêter la musique et il buvait beaucoup. 

Point météo : le mois de mars au Brésil
Si en France le mois de mars annonce le début du printemps, dans le Sud Est du Brésil, cela correspond à  la fin de l'été et au début de l'automne, avec l'arrivée de fortes pluies. Les eaux de mars ont une symbolique ambivalente, celle d'une progression inévitable vers la mort, mais aussi celle d'une "promesse de vie" et de renouveau.

Les paroles 
"Águas de Março" a au moins deux sources d'inspiration majeures :
L'un est le poème "O caçador de esmeraldas" [Le chasseur d'émeraude], du poète parnassien Olavo Bilac (1865-1918) "Foi em março, ao findar da chuva, quase à entrada / do outono, quando a terra em sede requeimada / bebera longamente as águas da estação" [C'était en mars, à la fin des pluies, presque au début / de l'automne, lorsque la terre assoiffée se réchauffait / avait bu depuis longtemps les eaux de la saison]
L'autre référence est un air à succès de macumba : Conjunto Tupi enregistré par J.B. de Carvalho (1901-1979) : "É pau, é pedra, é seixo miúdo". [C'est du bois, c'est de la pierre, c'est un petit caillou].
La structure musicale est basée sur le mouvement cyclique et perpétuel d'une suite harmonique. Pratiquement tous les vers sont écrits avec le verbe être, conjugué à la troisième personne du singulier au présent de l'indicatif. A l'exception du refrain, où il est au pluriel (Ce sont les eaux de mars). Il y a une alternance  de vers à tonalité optimiste et pessimiste, en utilisant l'antithèse ("vie"/"mort", "soleil"/, "nuit"), le pléonasme ("le vent souffle"), et l'homonymie ("conte" / "compte").
Les paroles n'ont pas un caractère narratif , elles sont imagées, avec deux champs sémantiques, l'une portant sur la nature et le passage des saisons, l'autre sur le foyer et la maison en construction.
source : pt.wikipedia

La playlist Águas de Março / Les eaux de mars / Waters of March